Gévaudan tome 1 Extrait

Oh ! Comme en ce début mai 1789, il eût été facile à Louis XVI de faire basculer
en douceur le cours de l’Histoire vers un nouvel avenir, vers un avenir meilleur.
Il n’aurait eu que si peu à dire et si peu à faire pour que tout le bon peuple des
villes et des campagnes le soutienne et le suive ! […]
Certes, il eût, sans coup férir, dû troquer son beau titre de « Roi de France et
de Navarre » pour celui, plus modeste et plus moderne, de « Roi des Français », ce
qui impliquait aussi de renoncer à l’absolutisme de droit divin pour un simple
pouvoir constitutionnel. Mais une telle initiative l’eût immédiatement hissé au
niveau des plus grands et lui eût acquis, avec une légitimité nouvelle, la reconnaissance
et l’estime de tous… Du moins, de presque tous ! Car, il faut bien en
convenir : Une si grande hardiesse eût aussi engendré maints détracteurs, mécontents
et opposants parmi les privilégiés. Indubitablement ! A commencer par
ses deux frères, Provence et Artois, qui n’en manquaient jamais une, ces deux-là !

Mais quand on a le soutien de tout un peuple, on peut bien faire fi des bouderies,
caprices et autres petites éruptions colériques d’incorrigibles fieffés égoïstes aux
idées d’un autre âge, fussent-ils membres de la très proche famille !
Hélas, en cette mi-mai 1789, d’après le peu qu’il avait vu et entendu lors des
cérémonies des premiers jours du mois, le comte Pierre-Olric de Montalcy s’était
forgé une intime conviction : Non ! Louis XVI ne serait pas ce passeur d’Histoire
providentiel capable, tel un nouveau Moïse, de conduire son peuple au-delà de
ses rêves, vers une terre promise de liberté, d’équité et de paix !

Alors qu’il eut fallu oser, innover, décider, entreprendre, conquérir l’avenir,
Louis XVI se bornait, en gentil petit élève docile et appliqué, à réciter très sagement
par cœur la leçon que ses bons maîtres lui avaient scrupuleusement et
patiemment enseignée. La leçon transmise par ses parents, ses grands-parents,
ses arrière-grands-parents, bref tous ses ancêtres, la leçon du passé et, à
l’évidence, plus que dépassée ! Il n’était qu’un simple tâcheron du pouvoir, bien
honnête et fort besogneux, quand le pays aurait eu le plus grand besoin d’un fin
stratège de la politique et d’un meneur d’hommes charismatique.

Parce qu’on le lui avait demandé, et qu’il n’avait pas pu – ou su – refuser, il
avait convoqué les Etats-Généraux. Mais qu’en attendait-il au juste ? Face à
l’immense espoir que cette annonce avait suscité dans tout le pays, il agissait
comme le ferait un vulgaire boutiquier aux abois qui, après avoir raclé tous les
fonds de tiroirs de la boutique, de l’arrière-boutique, de la maison et de ses dépendances,
puis cassé les cochons-tirelires des enfants pour en piller le précieux
et dérisoire trésor, en serait réduit à inviter le ban et l’arrière-ban de ses amis,
connaissances et autres relations à seule fin de les prier de bien vouloir se porter
caution de son prochain emprunt. Et ce, sans remise en ordre des comptes ni
remise en cause du train de vie, sans aucune contrepartie ni concession en
échange, sans même la moindre assurance de voir le problème résolu pour de
bon après coup !

Louis XVI n’avait décidément rien compris ! Vraiment, il n’était pas l’homme
de la situation ! […] Pourtant il faudrait bien faire avec ! Espérons pour lui […] que
d’aucuns ne rêveront pas, un jour, de faire sans ! »