H40CL8 Hommes quarante, chevaux en long huit

EXTRAITS H40

« Pour vous donner envie de découvrir

ce voyage improbable et son destin »

 

 

— Alors, H40CL8 c’est quoi ? demande Robert.

— Ce sont des souvenirs d’enfance dans une gare de campagne.

La gare n’existe plus, condamnée par des nécessités économiques. Ces wagons servaient autrefois à transporter hommes et animaux, dans des campagnes où les champs étaient de bataille. Ils portaient une inscription sur leur volume utile. « Hommes quarante, chevaux en long huit, » trains destinés à transporter hommes et chevaux pour toutes les boucheries de la connerie humaine, chargés plus tard de déportés en route pour la mort.

Mais un jour ou l’autre, il quittera H40 comme une âme déserte le corps le moment venu.

Cet instant semble tout proche

…..

 

 

 

L’heure est venue d’aller chez Morteau Pesame embarquer l’autre fret. H40 s’engage dans les terrains désolés qui se succèdent jusqu’à l’entrepôt F L’homme est là, debout près des caisses, son carnet à la main. Après un vague salut, Lucien démonte la plaque aménagée sur le flanc de la remorque, par où l’on accède à l’espace clandestin.

— Quatre.

— Bon sang, ce sera juste.

— Mais non ça tient.

— Un seul lieu de livraison, sinon je ne marche pas.

…..

 

“ Allo ? Michel ? Ne charge plus rien, on a des ennuis.”

L’homme de l’entrepôt F grimace.

— — Trop tard je viens d’embarquer quatre colis.

— C’est une tuile. On a un contrôle sur les bras.

— Et alors ? Ils seront à bon port demain matin.

— Qui transporte ?

— Martet. Quelqu’un de sûr.

…..

. Au bout d’une route jalonnée de lampes basses qui éclairent l’asphalte au ras du sol, apparaît un parking presque complet…..

…..

Le plafond s’est ouvert. Une avalanche de trognons, d’épluchures, de fruits trop mûrs change le local en marécage ; des monceaux de salades, d’agrumes, d’ananas avariés, de bruyants légumes secs, tous les rebuts du MIN entassés dans le faux plafond se répandent dans la remorque. C’est ça le marché de l’archevêque. Une senteur de marais a envahi les lieux, une buée ténue monte du sol. Marie traverse le marécage juchée sur un âne qui se met à braire entre deux accords de la toccata en ré majeur de Bach jaillie d’on ne sait où. Un rire hystérique monte des déchets. Des silhouettes titubantes et apparemment ravies s’agitent dans la fange. Ici s’arrête le monde.

…..

Dehors, le chauffeur d’une voiture de fonction noire est plongé dans la  lecture d’un livre dont Lucien déchiffre le titre avec surprise.  » Le Phénomène Humain  » de Teilhard de Chardin. Le notable qui ouvre la porte arrière, lui lance avant de disparaître dans le véhicule:

— Tu pourrais lire autre chose, quand nous venons ici ; c’est de la provocation.

Haussant les épaules, le chauffeur a rangé son livre dans la boîte à gants.

 

…..

Deux silhouettes inégales marchant sur le bas côté viennent d’apparaître. Une femme, un enfant, deux sourires qui d’un coup illuminent ce paysage trop gris.

Elle lui donne une destination qu’il approuve sans l’avoir entendue.

…..

“Hélène est nue sous l’averse tiède. Le savon glisse sur son corps traçant des caresses inconnues….”  Lucien imagine ses courbes plus émouvantes que celles lisses et provocantes des femmes plus jeunes dont la chair n’a rien à conter. Il ferme les yeux pour mieux écouter les indiscrétions de l’eau. Autrefois Marie s’éternisait ainsi sachant Lucien aux aguets le désir naissant sourdement.

…..

– – – – – – – – – – – – – – – – –

           

…..

Fabien examine la carte, nomme des étapes possibles entre H40 et Carcassonne, pour retarder la fin de ce voyage amusant. Agen, Montauban, Toulouse…

Lucien tressaille, il avait oublié que Toulouse se trouve sur leur route. Caroline !  Caroline son remords… ; elle a vingt ans, Fabien douze ou treize. Voilà une rencontre à propos pour entortiller cette trajectoire qui lui échappe de plus en plus.

— Nous ferons une escale à Toulouse.

— Bien capitaine.

Les premières notes ont jailli, les mains agiles de Caroline survolent le clavier, l’instrument chante la toute proche EspagneEt Philippe, PDG au sommet de ses ambitions, exalté par son pouvoir d’opérette, avec ses milliers d’alter ego sur leur petit nuage, ignorait sa fille. Tant que Caroline musardait, le tonton amusait les géniteurs. Et Lucien avait soutenu Caroline, lui sacrifiant son temps, négligeant le naufrage annoncé de son propre foyer..

…..

 

— C’est ma nièce, je n’ai pas d’enfant.  Il faudrait crier  » je n’ai plus d’enfant !  » Mais comment leur avouer.

— Présente la moi, ta nièce fille !

Lucien s’est laissé porter vers les coulisses, il est face à Caroline.

…..

Mapache se fait du souci.

— Tu transportes des boites pour Morteau ?

— Quatre.

— Débarrasse-t-en vite. J’ai refusé les miennes ; ils vont être obligés de tout livrer officiel. Bien fait. Cet argent me brûlait les doigts, je vais écrire une humeur là dessus. Où dois-tu livrer ?

— Près de Marseille.

— Tu y vas direct ?

— Non, je vais en Espagne.

— Et les caisses ? s’étonne Mapache.

— Je vais m’occuper de leur destin en franchissant les Pyrénées.

…..

Les caisses de Morteau Pesame pèsent d’un coup une tonne.

Lucien a saisi une clef à molette. Trois mètres à peine séparent le torrent du flanc de H40. En contrebas, l’eau profonde glisse sans bruit avant de reprendre plus loin sa course bondissante; Lucien attaque avec sa clef, les écrous qu’il a maculés de crasse dans l’entrepôt de Morteau Pesame.

 

Hélène est muette de stupeur.

Lucien songe au jardin luxurieux du Corbeau Rouge. “ Alors que dirais-tu de ça ?  » Une nuit, un âne grimpait une colline odorante de lavandes et d’oliviers bruissant sous le grand  vent du sud ; des femmes venaient se reposer à l’ombre des oliviers; mais des hommes sont venus qui ont submergé la colline de trognons de choux, de salades ramollies comme des méduses, des carottes eczémateuses, leurs mains sales couraient sur les corps des femmes comme des araignées affamées. La plus belle des femmes avait une tomate sur la fesse, comme une fleur sur un rocher poli par l’eau d’un torrent. Une main s’est posée sur cet admirable tableau, elle a écrasé la tomate. L’âne s’est mis a braire de fureur….

— Et tu sors ça d’où ? Grimace Fabien.

…..

Hélène est apparue, le visage grave, un journal à la main.

— On a retrouvé les caisses, ils en parlent même ici : “ Trois caisses échouées dans un village.”

— Tu veux dire quatre ?

— Non, trois.

— Tu auras mal lu.  Lucien prend le journal, dévore l’entrefilet : Trois caisses ! Et la quatrième alors ?

— Trois caisses, ou quatre qu’importe ; ils savent.

— Où est passée la quatrième, bon dieu !

……..

Fabien se rapproche d’elle, hésite longtemps, puis, comme elle ne se dérobe pas à son contact, bredouille à nouveau.

— Caroline, je t’aime.    Elle lui dépose un baiser sur le front.

— Mais non. Pas encore.

…..

Caroline et Fabien s’ingénient à tout mettre de guingois et le paysage chahuté s’éclate, les ruisseaux se changent en veines de lézards géants, les églises en mandibules de fourmis albinos mordant la peau du ciel. La voiture suiveuse est devenue invisible dans la brume et la poussière. Devant le capot de H40 règne à présent une clarté aveuglante.

Ils sautent parmi les buis, parcourent à pas de loup les allées désertes, se glissent entre les vasques tranquilles reflétant la lune. Entre deux haies de cyprès, un long bassin semblable à celui du patio du Generalife continue de chanter; ils s’asseyent, serrés l’un contre l’autre, écoutent les jets d’eau fins comme des joncs faire tinter le miroir d’eau. Caroline prend la main de Fabien, ses doigts l’enveloppent, elle joue sur un clavier imaginaire, à l’écoute de nuances imperceptibles. Falla, Granados, Albeniz, elle butine sans cesse. un trouble la saisit ; la main de Fabien, jusque là docile manifeste de l’impatience. Elle tressaille, inquiète de l’ombre tapie dans ce jardin mystérieux.

— Allons nous coucher.

Caroline apparaît dans la pénombre. Nue. Fabien en perd le souffle. Elle vient s’allonger doucement près de lui, sa chaleur l’envahit quand elle lui chuchote.

— Raconte-moi ta vie…

Fabien n’a pas pu, la gorge nouée d’émotion. Sa vie, a commencé en montant à bord de H40 ; avant il n’y avait rien.

L’enclume, les claquements de doigts, le taconeo martelant le sol les envahissent ;  instant où tout vient de l’intérieur, comme si cette danse était un saisissement de soi, une fureur d’aller plus loin. Ce chanteur, ce forgeron et ce danseur là racontent leur histoire. le martinete est cette fois un chant d’adieu.

…..

Lucien ouvre la boîte à gants et tâte la froideur rassurante de son revolver. Il parvient au bord d’un cratère lunaire creusé par la Vis. Navacelles, l’antre du fourmilion. “Il attend ses proies au fond de l’entonnoir”.

Cinquante mètres plus bas, Navacelles brille de quelques feux dans le grondement d’une chute d’eau. Lucien lève les yeux et observe l’adversaire glisser sur les parois de la cuvette.

Le fourmilion est aux aguets.

Les chasseurs de cette quatrième caisse qui a brisé son vol n’ont pas perdu sa trace.

Mais quand  le fourmilion ouvrira ses mandibules….

…..

C’est alors qu’un tumulte se produit. Des hennissements, des ruades font trembler la carcasse inerte de H40, des ordres brefs sont lancés dans le noir. Lucien voit les portes de la cale s’ouvrir….. des chevaux affolés, crinière au vent, sautent au ralenti dans un mouvement parfait et s’engloutissent dans la nuit….. Ils étaient huit. Des hommes lourdement chargés sautent à leur tour baïonnette au canon. Lucien en compte quarante. H40 vient de rendre l’âme.”

…..

Il s’embarquait pour de grands voyages : SS Orania le 9 février, de Boulogne pour Buenos Aires. D’autres navires taillaient la route vers l’Orient, comme l’Aramis, parti un 10 février de Marseille pour Port Saïd, Djibouti, Colombo, Penang, Singapour, Saigon, Hong Kong, Shanghai, Kobe, Yokohama..ou bien l’Océan Indien l’invitait sur l’Angers, parti un 15 février de Marseille pour Port Saïd, Suez, Djibouti, Mombasa, Dar es Salam, Zanzibar, Mayotte, Nossi Bé, Diego Suarez, Tamatave, La Réunion, Maurice. Il s’était juré d’accomplir un jour un de ces périples.

L’Aquitania a gagné le large. Tout commence, Lucien s’approche d’une autre histoire qui porte en elle l’espoir. Espoir, Hélène, Fabien, Caroline et tous les autres, compagnons d’une vie sans lesquels on n’existe pas. Ces particules là sont porteuses d’une énergie qui n’est pas à la veille de s’éteindre.

Après avoir observé longtemps la disparition de la terre, Lucien regagne sa cabine et va s’endormir d’un sommeil qui s’annonce apaisé, quand la porte s’ouvre….

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