Pierre Debrade

H40CL8

Extrait chap 1

« Ce soir, la tempête m’attend quelque part en
pleine mer. Une certitude venue sans crier gare
dans mon indifférence. Le temps est venu… J’ai
tant souffert de cette déchirure.
Arraché à “eux deux”, le nom de mon cargo va
finir par réveiller un sortilège enfoui qui somnole
en guettant l’occasion. Saura-t-il réconcilier
imaginaire et réalité ? Mais pour cela il faudrait…»
Son cargo à quai, Lucien stoppe les machines,
et descend de la dunette. Robert le Fort monte à
bord avec l’équipe de dockers, et les carcasses
roses, danseuses d’un autre monde, s’en vont en
file pantelante vers les entrepôts du M.I.N. Au
petit matin la brume s’attarde entre les wagons
et les camions éparpillés au long des bâtiments
vibrant de cris ; étables, laiteries, vergers, jardins
maraîchers, chaluts, déversent ici leur manne, au
terme de kilomètres d’asphalte et de rail, de miles
d’eau et d’air.
— Vas-tu m’expliquer ce que signifie H40CL8,

Extrait Chap  4

Le Corbeau Rouge semble une halte banale,
avec ses bosquets à moitié effeuillés percés par
la lumière humide des lampadaires. L’aire
s’enfonce profondément dans la campagne. De
rares personnes vont et viennent entre les parkings
disséminés dans la végétation et la bâtisse
des toilettes. Une succession de pancartes invite
les poids lourds à emprunter une voie d’accès,
tortueuse sans raison, qui gagne des fonds obscurs.
Lucien s’y engage sans hésiter. Au bout
d’une route jalonnée de lampes basses qui éclairent
l’asphalte au raz du sol, apparaît un parking
presque complet.
— Où va-t-on ? demande Piotr, méfiant.
— Dans la mare aux oubliettes. Je vous invite.
Ils atteignent un semi-remorque aux parois
déployées comme un véhicule de cirque. Carine
déchiffre sur les panneaux, une inscription salie par
les embruns de la route : « Pépinières de Loustan.
Fleurs coupées, plants, arbustes ornem… » Des
silhouettes obscures entrent et sortent par une
porte latérale entrebâillée, libérant des bouffées
de musique, des rires, des exclamations. Une
tenture cramoisie double la porte accessible par
un escalier amovible. Piotr et Carine vont-ils se
laisser emporter ? Lucien est-il apte, ce soir, à les
entraîner dans son délire ? Illusionniste inspiré, ou
solitaire impuissant. D’entrée une atmosphère
moite chargée de tabac de parfums et d’alcools
les enveloppe.

Extrait chap 8

« Lucien Martet n’est pas arrivé à destination.
Il ne nous reste plus qu’à déposer une plainte
pour détournement de fret ».
Alfred Morteau fronce les sourcils. Une
plainte ! Il éclate d’un rire qui pétrifie son collaborateur.
— Nous n’allons rien faire Mauduit. Rien du
tout. Vous imaginez un peu ! Avec ce contrôle en
cours.
Mauduit se désole avec un respect irrité.
— Mais les destinataires, monsieur, les destinataires
! Le camion n’est pas allé aux Rhunes,
où est-il passé ?
— Prévenez les destinataires. Inventez ce que
vous voulez.
Le rire gagne Armand Pesame vice-président
de la maison ; il y a longtemps qu’il n’a été pris
d’une telle hilarité. Il finit par suggérer à Mauduit :
— Trouvez une bonne raison, sauf la véritable,
vous avez carte blanche.
— Carte blanche… si je peux me permettre,
Monsieur le Président, le mot n’est pas approprié.
Armand s’arrête une seconde de rire.
— Vous ne manquez pas d’humour Mauduit.
Dites-moi, ce camion évanoui transporte quoi
d’autre ?
— Des surgelés, des plats cuisinés Monsieur.
— De quelle marque ?
— Mamie Mitonne, je crois.
— Prenez discrètement contact avec cette société.