Disparition inquiétante d’un jeune Américain …

                    (Chapitre 1, p 16 )

     Au restaurant, Le Stella, l’humeur des trois convives est à la détente et à la joie. Le Pineau des Charentes de l’apéritif, plus le petit Rosé des Dunes de l’île de Ré, même bu avec modération, ne doivent sans doute pas être étrangers à cette agréable euphorie.
Estelle tient à préciser que les vieux Charentais usaient d’une expression pour qualifier cet état de bien-être un peu spécial : « l’étions benaise ! ». Et les deux jeunes tourtereaux américains de s’amuser à répéter cet idiome typique du parler local. Ce qui a le don de les faire rire. Décidément, Estelle se félicite de n’être pas restée manger seule dans sa chambre d’hôtel !
     Le serveur vient juste d’apporter les trois coupes de Fraises Melba à la Chantilly, quand John-Peter Killian sent le vibreur de son téléphone s’activer. Vite il décroche. Estelle et Daisy interrompent leur conversation pour ne pas déranger l’écoute. Daisy, intriguée, observe son époux, se demandant qui l’appelle. Elle se penche vers lui.
     Apparemment, l’appel concernerait ses papiers et sa carte de crédit. Quelqu’un aurait retrouvé son portefeuille … Mais John-Peter a du mal à comprendre tout ce que lui dit son correspondant. Il pense qu’il entendrait mieux à l’extérieur. Avant de sortir, il fait signe à son épouse et à Estelle de manger le dessert sans l’attendre.
     Au début, John-Peter se tient sur le trottoir d’en face et converse avec son interlocuteur inconnu en s’appuyant contre le parapet de la digue. Puis, peu après, sa femme et Estelle le voient dévaler les marches qui mènent à la plage en contrebas. Désormais, ni sa femme ni Estelle ne peuvent le voir.
     Et le temps passe… passe…

/……

     Daisy remercie alors l’amie d’enfance de sa grand-mère pour ce dîner si agréablement commencé et si malencontreusement interrompu. Estelle souhaite à la jeune femme ainsi qu’à son époux qui, selon elle, ne saurait tarder à revenir, une longue et belle vie de bon-heur. Les deux femmes se quittent en s’embrassant et en promettant de se donner de leurs nouvelles.
Et tandis que Daisy se précipite une nouvelle fois à la recherche de sa moitié, Estelle, qui n’est pas décidée à regagner sa chambre d’hôtel de si bonne heure et espère profiter de la douceur de cette belle soirée en se laissant bercer par le chant des vagues à la marée montante, immobilise son fauteuil sur la promenade du front de mer[…]
     Là-bas, au loin, à la lisière de l’horizon, les îles d’Aix, de Ré et d’Oléron se devinent aux traits de lumières vacillantes qui signent leur présence à fleur d’océan, comme aux éclairs lumineux – réguliers, singuliers, obstinés – des phares de Chassiron et des Baleines qui les dominent.
     Un temps, elle se laisse prendre par la magie de la mélopée marine et par le jeu des lumières intermittentes des phares, puis, inclinant la tête en arrière, elle s’aban-donne à la contemplation de la voûte céleste, ô combien fascinante.

     Alors, repensant soudain à ce jeune couple dont elle vient de croiser la jeune existence prometteuse, elle se dit que, parmi les myriades de myriades d’étoiles qui scintillent au firmament, il en existe certainement au moins une pour veiller sur John-Peter Killian et sur sa jeune épouse, Daisy.