Pierre DEBRADE

POUR UNE MORSURE DE CHIEN

Extrait Chapitre 1  La morsure 

Le 18 mars, assis sur ce même banc, je n’avais
pas vu venir le météore. J’étais resté longtemps immobile,
regardant le ciel, s’anéantir dans la pénombre du soir.
Marcher. Il fallait que je m’arrache au cafard qui sans
raison particulière, me harcelait. J’avais quitté le square.
Une dépression tournoyait dans le ciel guettant l’instant
de s’abattre sur moi. La pluie s’était mise à tomber ; les
voitures teintaient les avenues de reflets sanglants à
droite, d’éblouissantes zébrures d’or à gauche. La ville
scintillait dans la nuit.
C’est arrivé tard dans la soirée, après un tourbillon
de banlieues sans âme, quand les télés plongent
les ménages dans le coma, à l’heure où sortent les bêtes
de nuit : loubards, ivrognes, prostituées d’occasion, passants
fuyant la menace de l’ombre. Une émotion sourde,
incontrôlable me possédait : le coeur qui bat, une acidité
douce qui monte dans une sensation douloureuse et
agréable à la fois, comme une fièvre banale avant qu’elle
ne vous terrasse. Un « quelque part » m’était destiné,
impression trop fugitive pour que je puisse l’identifier.
J’errai au hasard dans la ville. À présent je connais son
nom : pressentiment. Il tournait en moi, resserrant ses
spirales.
C’est alors que la bête de nuit, un chien sorti de nulle
part m’a sauté dessus, mordu profondément au poignet et
disparu dans les buissons comme il était venu. Pourquoi ?
Le passé est revenu. Tout est là. Présent.
Impossible de raconter les faits autrement. Ce n’est
pas arrivé. C’est. Ni le passé ni le futur n’ont lieu d’être
évoqués. Je suis prisonnier du présent.
Que commence donc cet étrange itinéraire à la poursuite
de l’inconcevable.